Chaque mois depuis mars 2003, Patrick WIGAND et Thomas GERWIG présentent au CHU de Strasbourg un spectacle à l’intention d’enfants hospitalisés.
Pendant 45 minutes, les enfants et leurs parents oublient leur quotidien et se laissent transporter dans le monde du rêve et de l’illusion.
Dans cette interview Patrick et Thomas nous parlent de leurs spectacles spécialement adaptés aux enfants hospitalisés.
Magie au CHU de Strasbourg
Thomas : Patrick, peux-tu expliquer comment a démarré cette belle aventure de la magie à l’hôpital ?
Patrick : L’aventure commence en mars 2003. Je prends contact avec la direction de l’hôpital de Hautepierre à Strasbourg et expose mon projet : offrir des animations magiques aux enfants hospitalisés. On m’oriente alors vers Marinette SCHNEIDER qui est éducatrice au sein du service pédiatrique. Je la rencontre pour discuter plus en détails de mon projet avec seulement 3 balles éponges dans ma poche. Je précise d’emblée que j’interviendrai bénévolement, ce qui rassure Marinette, car il n’y a aucun budget pour rémunérer des artistes. Dans l’entretien, je ressens chez mon interlocutrice un intérêt très fort mais aussi une inquiétude. Evidemment il n’est pas question de présenter n’importe quoi. J’en ai conscience. La magie à l’hôpital doit faire rêver, surprendre agréablement, faire rire aussi mais en aucun cas évoquer la douleur ou générer, ne serait-ce que quelques secondes, la peur ou l’angoisse. Les enfants doivent oublier, le temps du spectacle, qu’ils sont à l’hôpital. On s’accorde finalement sur une date pour une première représentation. La « mayonnaise » prendra et je deviendrai vite, avec toi et d’autres, le « magicien » de la Maison. Et toi, qu’est ce qui t’a motivé pour me rejoindre dans l’aventure du CHU ?
Thomas : A l’époque je faisais déjà des spectacles mais j’avais tellement envie d’en faire plus… alors j’ai tout de suite sauté sur l’occasion. Un moyen assuré de se produire chaque mois, le rêve ! En même temps, une jeune cousine de la famille était tombée gravement malade, j’avais donc l’impression de « faire quelque chose ». Je t’ai rejoint en octobre 2003 et depuis nous avons fait environ 120 spectacles. Tiens, rappelle-moi comment tout ça s’organise concrètement ?
Patrick : Nous arrivons une bonne heure avant l’heure fixée pour aménager la salle, installer notre matériel et procéder aux dernières répétitions. Les enfants qui sont en mesure de quitter leur chambre, sont accompagnés dans la salle par des aides soignantes. La plupart sont déplacés avec leur lit, ou sont accompagnés d’une potence ou d’un « presse-seringue ». En moyenne, une dizaine d’enfants sont présents accompagnés souvent de parents et de frères et sœurs.
Thomas : Oui, ce sont de petits groupes idéals pour de la magie de salon. Mais il faut bien-sûr nous adapter à l’environnement et au public de l’hôpital.
Patrick : C’est vrai, rien ne doit rappeler l’hôpital, ni le matériel et le décor, ni les gestes, ni les mots. A ce titre, les conseils de Marinette vont donc nous être précieux. Les tours avec animaux par exemple sont à proscrire pour des raisons évidentes d’hygiène. Ca tombe bien, je n’ai pas de tours avec des animaux ! Il y a aussi une charte à respecter qui cadre notre périmètre d’action. On s’interdit de poser des questions aux enfants sur la nature de leurs pathologies. Ce sont donc des spectacles assez particuliers. Du coup, qu’as-tu appris dans cette expérience ? sur le plan personnel, sur la façon de pratiquer la magie ?
Thomas : Au début on appréhende un peu d’être en face d’enfants malades. Il y a les Fauteuils roulants, les tuyaux, les regards parfois difficiles… J’ai donc appris à passer au-delà de tout ça. Car si tu ne le fais pas tout de suite, alors tu ne restes pas longtemps ! Côté magie, il a fallu adapter certains tours. Avec le recul, cela a été bénéfique car j’ai pu inventer des nouvelles routines en contournant des effets qui n’étaient pas présentables. Par exemple j’adorais l’illusion du bras coupé en trois. Mais devant un public d’enfants hospitalisés, impossible. J’ai donc changé l’effet en enlevant les lames et le côté sanglant. C’est devenu le tour du bras invisible, un effet de science-fiction où le centre du bras disparaît petit à petit. C’est un peu devenu mon tour fétiche. De la contrainte nait souvent la création. Et puis j’ai appris qu’en travaillant à deux on progresse deux fois plus… et on s’amuse dix fois plus. Et toi, quel genre de tours est-ce que tu présentes ?
Patrick : Mes tours ont beaucoup évolués en 18 ans. J’ai mes classiques fétiches (anneaux chinois) mais j’ai aussi progressivement créé des tours personnalisés avec du matériel toujours plus sophistiqué que j’ai fabriqué avec beaucoup de plaisir et de jubilation. Bricolage et magie vont très bien de pair. Les tours doivent être très visuels, comiques et faire participer les enfants même s’ils ne sont pas en capacité de se tenir debout ou de tenir un objet. En oncologie, il n’est pas question de mettre un objet dans la main d’un enfant. Les règles d’hygiène sont très strictes. Dans certaines chambres, une tenue adéquate doit être portée (blouse, masque, charlotte). Tu as sûrement quelques anecdotes qui te reviennent ?
Thomas : Plusieurs me viennent à l’esprit. La fois où un enfant gravement malade a demandé à ce que je vienne faire un spectacle chez lui pour son anniversaire… Une autre fois où l’alarme incendie de l’hôpital s’est déclenchée en plein numéro musical… Plus perturbant, une petite fille qui riait de mes tours… mais qui avait mal en riant… j’ai donc dû arrêter d’être drôle… ça calme ! Et ce spectacle où il y avait tellement de lits qu’on ne savait plus où les mettre… Et cette fois-là où des ouvriers ont traversé plusieurs fois la salle avec leur matos car ils n’étaient pas au courant qu’il y avait un spectacle…. Bref, à l’hôpital, il y a toujours des surprises. Et toi, as-tu un souvenir de spectacle qui t’a particulièrement marqué ?
Patrick : Un jour, j’étais seul pour faire un spectacle. Après une heure de préparation, tout était prêt : les chaises, la scène, le matériel, la sono. A 14 h 30, j’ouvre la porte de la salle. Une aide soignante arrive accompagnée d’un enfant et m’annonce qu’il sera finalement le seul disponible aujourd’hui. Je décide alors de faire mon show pour lui tout seul et bien sûr pour son accompagnatrice. Il a été un très bon spectateur. Il se souviendra longtemps de ce moment, moi aussi.
Thomas : C’est sûr, cela fait de belles expériences humaines. Du coup, recommanderais-tu à nos collègues magiciens de se lancer dans cette aventure ?
Patrick : Je comptai bien pérenniser cette activité nouvelle à l’hôpital fortement appréciée aussi bien des enfants que du personnel. Je parle donc de mon expérience aux autres membres du Cercle Magique, en insistant tout particulièrement sur l’intérêt et l’enrichissement qu’un jeune magicien peut en retirer. Outre le plaisir personnel de pouvoir agir positivement sur le moral et le bien-être d’enfants malades, cette démarche offre l’opportunité de se produire et de se « faire la main » devant un vrai public. Les jeunes publics ne sont pas les plus faciles. Et n’ayons pas peur de le dire, ici on ne vous tiendra pas rigueur en cas d’imperfections, car vous intervenez bénévolement ! Avec le temps on apprend à rendre les imperfections invisibles aux yeux des spectateurs ! Pour moi, la magie à l’hôpital est mon école de la magie. J’ai appris à avoir de l’assurance, à gérer les « ratés », à améliorer mes présentations, à m’adapter aux situations imprévues, et à gérer, sans être déstabilisé, les réactions parfois inattendues de certains spectateurs. A deux ou trois magiciens, on se conseille mutuellement à l’occasion d’un débriefing devenu rituel en fin de chaque séance. Car il n’y a pas eu que nous deux depuis 18 ans.
Thomas : Oui, au fil du temps, nous avons réussi à convaincre d’autres membres de se joindre à nous. Benoît BOHN d’abord a eu l’occasion d’exercer ses talents pour quelques séances jusqu’à ce qu’il soit retenu par ses études. Puis plusieurs membres s’y sont essayés au fil des années : Félix AUGUSTO, Anthony MAIO, Romain FOURNIER … et dernièrement Christian FLECK qui s’est ajouté à notre « équipe ». Malheureusement, cela fait plus d’un an que nos spectacles sont à l’arrêt. Comment vois-tu la suite quand la pandémie sera terminée ?
Patrick : J’attends avec impatience le feu vert de l’hôpital pour reprendre nos spectacles. La participation directe des enfants ne sera peut-être pas possible immédiatement. La distanciation physique perdurera encore un temps ainsi que tous les protocoles d’hygiène. On saura s’adapter.