Hommage à Joël Ragot

Joël Ragot, l’un des membres fondateurs du Cercle Magique d’Alsace, nous a quitté au cours de l’été 2018 pour s’en aller  vers un monde meilleur.

Vous trouverez ci-dessous hommage rédigé par Jean-Pierre Hornecker :


JOEL RAGOT, L’homme qui faisait parler les animaux !

JOEL RAGOT, le magicien qui faisait parler les animaux
Joël Ragot – L’homme qui parlait aux animaux.

Artiste magicien et ventriloque (1950-2018)

Courte évocation de la vie de celui qui fut un compagnon de route
du Cercle Magique d’Alsace durant près d’une cinquantaine
d’années. Joël et son chien fétiche, Oscar Toutou (marionnette)
traversèrent un demi-siècle sans vraiment prendre plus qu’une ride.
Ils émerveillèrent, grâce à leur gouaille et leur esprit frondeur des
milliers et des milliers de spectateurs durant des milliers de
représentations. Joël nous a quitté au début du mois d’août 2018
en laissant Oscar Toutou orphelin pour toujours. Dévasté par le
chagrin, le chien qui assista, au premier rang des invités, aux
obsèques de son maître, refuse depuis, obstinément de parler…

A l’occasion du départ de cet artiste pour un monde meilleur, j’ai réuni une dernière fois quelques souvenirs personnels communs. Ces textes furent jetés sur le papier à la volée au fur et à mesure qu’ils me revenaient en mémoire. Ils illustrent parfaitement les traits de caractère de Joël. En privé, celui-ci tenait à être un compagnon sans histoire, un ami d’un commerce agréable qui jamais ne tenait à jouer les trouble-fêtes. Par ailleurs il était toujours serviable et rendait fréquemment service sans jamais rien demander en contrepartie.
Avant de le laisser pour toujours à ses nouvelles occupations, je vais consigner ici quelques anecdotes significatives qui illustrent sa personnalité.

J’ai connu Joël lorsqu’il avait 10 ou 12 ans. C’était au Ritz (Cinéma-Music-Hall de Strasbourg) durant un spectacle auquel nous assistions. Il m’avait été présenté par son frère Michel (de l’orchestre Les Jets) que je faisais tourner dans un dancing strasbourgeois au début des années 60. Depuis cette époque nous n’avons cessé de nous fréquenter. On se vit jusque vers la fin de l’année 2017 ; année où sa santé était déjà gravement compromise. Joël refusait cependant d’admettre qu’il était fait de chair et d’os et s’imaginait naïvement que son statut d’artiste l’exonérait de la condition humaine normale (un artiste ne peut pas être malade pensait-il : autre forme de la méthode Coué !).

On le vit dépérir à vue d’œil. Début janvier 2018, sur les conseils insistants de tous les membres du Cercle Magique d’Alsace, il consentit enfin à consulter un médecin. Mais il était déjà trop tard.
Le corps médical le balada un certain temps d’hôpital en clinique (ou en maison de repos) où, prétextaient les médecins, il devait se fortifier avant d’affronter des opérations dont la nature n’était jamais très précise…Tous ceux qui le virent à ces moments-là me confirmèrent dans mes doutes. Cela allait de mal en pis. Certaines personnes hésitèrent même à le revoir : sa fin prochaine étant prévisible. Comment dans ces conditions lui remonter le moral et l’encourager à la guérison ? Rien qu’à le voir on devinait déjà sa triste fin…

Il s’éteignit doucement durant les derniers jours de juillet 2018.


Derniers souvenirs (personnels) amusants :

• C’est arrivé alors que Joël et moi faisions la tournée des grands ducs. Un jour, il y a très longtemps, aux petites heures du matin nous étions dans un établissement de nuit à la mode à Strasbourg. Je lui ai demandé : ça va Joël ? Il me regarda de biais et me dit d’un air navré : pas vraiment… Comment pas vraiment, rétorquai-je. C’est que je passe à la télé ce matin à dix heures, en direct, répondit-il visiblement désolé de rompre la joyeuse ambiance dans laquelle nous nous complaisions. Mince, mais il est déjà 5 heures du matin, m’exclamais-je. Nous avons immédiatement levé l’ancre et sommes rentrés sans demander notre reste !
Je n’ai jamais su comment cet enregistrement à la télévision s’était passé…Mais peut-être vaut-il mieux ne pas le savoir !

• Durant notre jeunesse, il nous arrivait de temps en temps d’écumer les bars de Strasbourg. D’abord on allait dîner sagement puis on buvait quelques derniers verres dans des endroits de perdition (comme nous disions à l’époque !). Parfois durant nos pérégrinations nocturnes, on amusait aussi la galerie. Joël enlevait une chaussure et retirait la chaussette qu’il enfilait aussitôt sur sa main pour figurer une marionnette. L’aspect de celle-ci était complété avec quelques accessoires trouvés sur place (mie de pain, boulette de papier) pour simuler les yeux et le nez. Joël jouait alors au ventriloque et la chaussette parlait au grand étonnement des clients ! Il avait toujours un succès fou dans ces moments-là !

• Joël et le travail. Il nous arrivait de parler, entre magiciens amateurs, de nos professions dans le civil. Joël prenait alors un air goguenard et lançait à la cantonade que lui ne faisait que l’artiste, qu’il n’avait jamais exercé nul autre métier que celui de magicien ou de ventriloque. Puis il ajoutait avec malice que ce n’était pas tout à fait vrai car il avait un temps (trois semaines) travaillé comme homme de main dans une imprimerie. Il disait cela avec un clin d’œil complice à mon adresse. Il savait en effet que j’avais moi-même passé une bonne partie de ma vie dans les imprimeries !
Oh, n’allez pas croire pour autant que Joël évitait de se fatiguer. Non, c’était un bourreau du travail mais de travail artistique. Il me confia un jour, il y a une vingtaine d’année, qu’il avait fait 53 contrats durant le mois de décembre (en fait presque deux représentations par jour !). En général on ne le voyait émerger, après les fêtes de Noël, que vers le 5 ou le 6 janvier lorsqu’il s’était remis de cette période de folie où chaque matin il sillonnait les routes de l’Est de la France pour honorer ses multiples contrats. Plus tard, les engagements se firent plus rares. Vers la fin, il peinait visiblement à s’assurer des revenus stables. Le temps avait fait son œuvre. L’âge venu, il était moins sémillant. Il avait fini par sortir de la lumière… D’autres ont pris sa place. Le monde change…

• Un soir à la Mehlkischt (en français le Pétrin). Ce restaurant strasbourgeois était notre quartier général dans les années 80. Un soir nous y avons bu quelques bières trop froides. Le lendemain matin je téléphone à Joël car j’avais une question à lui poser. J’en profite pour lui demander s’il était bien rentré et si tout allait bien. Oui, oui, ça va, tout est en ordre, me dit-il d’une voix enjouée. Je retéléphone une demi-heure plus tard pour un complément d’information et j’ai sa mère au bout de fil : parler à Joël ? me dit-elle d’une voix anxieuse, mais voyons, c’est impossible. Il a la courante et un mal de chien. Le médecin vient de sortir. Jojo est au fond lit et vit le martyre ! Le bougre ne n’avait pas osé m’avouer que les bières l’avaient clouées au lit !

Avant de tourner cette page de l’histoire de Joël, je regrouperai ci-après les deux textes que j’ai publiés à l’époque sur Internet et sur Facebook à l’occasion de ses obsèques.

Voilà, je viens de dire que j’allais tourner la page. Certes, mais soyez rassurés : jamais je ne fermerais le livre…


JOEL RAGOT, L’homme qui parlait aux animaux !

Joël Ragot, magicien et ventriloque, vient de nous quitter suite à une longue et pénible maladie. Il avait 68 ans à l’extérieur et 20 ans à l’intérieur, me disait-il souvent comme pour souligner que le poids des âges laisse inexorablement sa marque sur nous mais n’affecte nullement la fraîcheur d’esprit.

Joël était l’un des membres fondateurs du Cercle Magique d’Alsace. Il est resté fidèle à l’idée qui nous a poussés, sous l’impulsion de Francis Tabary en 1971, à nous réunir de temps en temps pour cultiver notre passion commune : l’illusionnisme.

Joël Ragot exerçait ses talents non seulement comme prestidigitateur mais également en tant que ventriloque. Il a ému aux larmes des salles entières durant plus de 50 ans en faisant parler et chanter toutes sortes d’animaux : poules, lapins et volatiles divers. Sa prestation avec Oscar Toutou, un chien un brin canaille, passablement effronté et même carrément dévergondé, a fait mourir de rire des milliers de spectateurs. Son chien en peluche est désormais orphelin. Je pense que, terrassé par le chagrin, il ne parlera plus jamais.

Fidèle en amitié, Joël était de toutes les fêtes. Il n’était pas rare au temps de notre jeunesse de prolonger les soirées au-delà du raisonnable…

Combien de fois avons-nous refait le monde jusqu’aux petites heures du matin… ?

Joël souffrait depuis longtemps. Il me parlait parfois des nombreuses affections qui l’affligeaient. Souvent il souffrait le martyre sur scène mais n’en laissait rien paraître. Il faisait toujours face avec courage et détermination. Mais il se voilait ainsi la face et, telle une autruche, s’imaginait que le danger n’existait pas. Mais la bête immonde qui l’habitait a finalement eu le dernier mot.

Joël nous laisse un souvenir émouvant. Il restera à jamais dans nos cœurs et dans nos mémoires.
Salut l’artiste. Nous continuerons à prononcer ton nom avec respect.

Jean-Pierre Hornecker


OSCAR TOUTOU assiste aux obsèques de son maître le ventriloque Joël Ragot

Joël nous a quittés en cette fin juillet 2018. Il était magicien et ventriloque professionnel. Durant toute sa vie (plus de 55 ans d’activité !) il a enchanté des milliers de spectateurs par ses tours de prestidigitation mais surtout grâce aux facéties de sa marionnette préférée Oscar Toutou.

D’une vieille pièce de tissu, Joël avait fait un personnage truculent, plein de vie et de malice. A les voir ensemble se donner la réplique, on aurait juré qu’ils étaient tous les deux des êtres de chair et de sang. L’un, entre les mains de l’autre, formaient un couple qui a fait rire, et parfois même fait pleurer, les publics les plus divers. Joël insufflait la vie à sa marionnette au point qu’on oubliait parfois qu’elle n’était qu’un simple bout de tissu. Les yeux qui roulaient de droite et de gauche, la bouche qui se tordait en tous sens pour simuler les émotions humaines : le doute, la stupeur, la méfiance et l’incrédulité.

Oscar Toutou durant la cérémonie d’adieu à son maître : Joël Ragot
Oscar Toutou durant la cérémonie d’adieu à son maître : Joël Ragot

Joël arrivait à donner l’illusion parfaite que sa marionnette n’en était pas une mais un véritable chien qui savait parler ! Avec leurs répliques acerbes ou olé-olé, Joël et Oscar Toutou mettaient les foules en émoi ou déclenchaient des salves d’applaudissements qui résonnent encore à nos oreilles !

Joël est parti ; parti pour toujours. Oscar Toutou est resté. Il s’est emmuré dans le silence du deuil et du chagrin. Pour le remercier pour sa longue fidélité, les proches de Joël lui ont permis d’assister à la cérémonie d’adieu en le disposant dans un fauteuil au premier rang de l’assistance.

Oscar Toutou est désormais orphelin. Orphelin pour toujours. Par respect pour son maître, il s’est juré de ne plus jamais parler. Respectons son silence.

Salut aux artistes ! Leur souvenir habitera toujours nos coeurs et nos esprits !
N’ayez crainte tous les deux : nous ne vous oublierons pas !

Jean-Pierre Hornecker